« Open by default » en tant que loi

L’EMBAG oblige l’administration fédérale à publier à l’avenir tous ses logiciels sous des licences open source et à mettre à disposition les données des autorités sous forme d’Open Government Data. La loi conduit ainsi à plus d’ouverture et d’innovation et provoque un changement de culture au sein de l’administration fédérale. Elle favorise également la durabilité numérique en augmentant le nombre de « biens publics numériques ».

La loi fédérale sur l’utilisation de moyens électroniques dans l’accomplissement des tâches des autorités (LMEB) a été adoptée par le Conseil national et le Conseil des États en mars 2023 et devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Il s’agit de la nouvelle loi suisse sur la numérisation de l’administration fédérale centrale et décentralisée, qui fixe l’exigence « digital by default » (art. 3) et crée la base légale pour d’autres aspects tels que les normes, les interfaces, l’interopérabilité et les essais pilotes (art. 12 à 15). Les nouvelles directives relatives aux logiciels et aux données de la Confédération sont d’une grande importance. Premièrement, l’EMBAG prévoit que l’administration fédérale publie à l’avenir les programmes et modules développés par des collaborateurs ou des personnes externes en tant que logiciels libres (Open Source Software, OSS) (art. 9). Deuxièmement, l’EMBAG exige que la Confédération libère en tant que données publiques ouvertes (Open Government Data, OGD) toutes les données des autorités qui ne sont pas liées à des personnes ou à la sécurité (art. 10). Ces deux règles « open by default » marquent un changement de paradigme important vers plus d’ouverture, de transparence et de réutilisation pratique des logiciels et des données. Pour l’administration fédérale et l’économie, il en résulte de nombreuses opportunités, mais aussi quelques défis.

Contexte politique de la publication de logiciels open source

Le débat politique sur la publication de logiciels libres par l’administration fédérale remonte à plus de douze ans. Le sujet a été lancé en 2011 par le Tribunal fédéral. Afin de permettre à d’autres tribunaux d’utiliser gratuitement des logiciels judiciaires et d’économiser ainsi l’argent des contribuables, le Tribunal fédéral avait alors publié son application judiciaire OpenJustitia sous une licence OSS. Cela ne convenait pas à l’entreprise Weblaw, qui voulait vendre son logiciel propriétaire aux tribunaux cantonaux et se voyait donc concurrencée par le Tribunal fédéral. Au cours des années suivantes, la question de savoir si et comment l’Etat pouvait mettre à disposition ses propres logiciels sous une licence OSS a fait l’objet de discussions animées, tant par le biais d’interventions politiques que d’expertises juridiques. Finalement, tant le travail de lobbying du groupe parlementaire pour la durabilité numérique (Parldigi) que la pratique de développement open source réussie de la branche informatique ont conduit à ce que l’EMBAG autorise non seulement la mise à disposition d’OSS, mais prévoie même une publication obligatoire du code source, « à moins que les droits de tiers ou des raisons de sécurité ne l’excluent ou ne la limitent » A l’avenir, tous les offices fédéraux devront donc s’occuper de la publication des OSS – l’exigence mondiale « Public Money, Public Code » est désormais appliquée au mieux en Suisse au niveau fédéral. Parallèlement, la publication des OSS est également un avantage pour les fournisseurs de services informatiques externes, car ils peuvent ainsi réutiliser leurs logiciels développés pour le compte de la Confédération en tant qu’OSS dans d’autres projets clients.

Pourquoi le « by default » est important

On ne sait pas encore clairement quelles sont les directives centrales que les offices fédéraux doivent respecter en matière d’OSS. Il existe certes depuis 2020 un guide pratique sur les OSS dans l’administration fédérale, géré par le domaine « Transformation numérique et pilotage des TIC » (DTI) de la Chancellerie fédérale. Toutefois, le chapitre « Libération des logiciels libres » stipule que les services sont eux-mêmes responsables de la publication des logiciels libres et de la manière dont ils collaborent avec les communautés. Il est donc nécessaire de formuler des directives et des recommandations sur la manière dont les services fédéraux doivent mettre en œuvre l’article 9 de l’EMBAG à l’avenir. Le canton de Berne est déjà plus avancé dans ce domaine. L’ordonnance cantonale sur les TIC permet déjà depuis 2018 aux services cantonaux de mettre à disposition leurs propres logiciels en tant que OSS. Les réglementations et listes de contrôle correspondantes pour la libération des OSS sont depuis également accessibles en ligne. Toutefois, cette réglementation bernoise montre aussi que, dans la réalité, peu de nouvelles applications OSS sont ainsi libérées, car depuis 2018, une seule application a été publiée sur le profil GitHub du canton de Berne. Le rapport entre l’effort et l’utilité est manifestement trop faible pour l’autorité individuelle et la conscience des avantages économiques globaux est encore trop peu présente pour que les services administratifs fournissent d’eux-mêmes l’effort supplémentaire et libèrent des applications internes en tant que OSS. C’est pourquoi la réglementation « Open Source by default » de l’EMBAG est judicieuse, car l’autorité est désormais tenue de mettre en œuvre cette directive – la libération de logiciels libres devient la nouvelle normalité.

« Open Government Data by default » (données publiques ouvertes par défaut)

Outre les logiciels, l’article 10 de l’EMBAG stipule que les données de la Confédération doivent également être libérées « par défaut » à l’avenir. Comme pour la libération des OSS, ce sont également des considérations de rentabilité et de promotion de l’innovation qui motivent cette réglementation pour les Open Government Data (OGD). Ici aussi, Parldigi a été actif pendant de nombreuses années dans l’accompagnement politique de ce thème. Il n’y a certes pas eu d’opposition politique directe comme dans le cas de l’OSS, mais les stratégies OGD mises en place jusqu’à présent par le Conseil fédéral n’ont pas encore débouché sur des libérations effectives de données dans la plupart des offices fédéraux. Actuellement, seuls quelques services fédéraux sont représentés sur la plateforme opendata.swiss avec leurs propres données, même si plus de 9 000 collections de données du secteur public sont déjà reliées à ce portail de métadonnées.

Ainsi, pour l’OGD également, le principe « open by default » de l’EMBAG doit conduire à un changement de culture : A l’avenir, les services fédéraux publieront leurs données gratuitement, en temps réel, lisibles par machine, dans un format ouvert et réutilisables à toutes fins (art. 10, al. 4). Outre les défis spécifiques à l’OGD, ces exigences soulèvent également des questions d’ordre général sur la gouvernance et la gestion des données. Comme partout dans le monde des affaires, l’administration produit et utilise aujourd’hui de nombreuses données, mais il est encore souvent difficile de savoir qui est concrètement responsable de quels fichiers et sous quelle forme, où les données sont exactement stockées et traitées ou selon quelles règles générales l’interopérabilité, la sécurité des données et la protection des données sont garanties. Ces défis, et bien d’autres encore, doivent être abordés afin de pouvoir réaliser la libération professionnelle des OGD, mais le savoir-faire correspondant fait souvent défaut. C’est pourquoi l’Office fédéral de la statistique (OFS), responsable du projet, a lancé des formations continues intensives pour le personnel de l’Etat, afin de développer les connaissances et l’expérience dans le traitement des données.

L’OFS abrite également le bureau OGD, dont la composition est exemplaire, qui s’occupe des activités opérationnelles et stratégiques concernant la libération des données fédérales et qui travaille également en réseau avec les cantons et les communes. Contrairement à l’OSS, ce rattachement clair de l’OGD à l’OFS, tant sur le plan institutionnel que personnel, constitue une situation de départ idéale pour la mise en œuvre de l’EMBAG.

Que reste-t-il à faire ? Et comment font les autres pays ?

Une bonne loi est importante. Mais ce qui est décisif, c’est son application dans la pratique. Comme mentionné, la coordination des activités OGD en Suisse est déjà bien avancée, tandis que la mise en œuvre de la libération des OSS doit encore être clarifiée sur le plan organisationnel et aussi financier. Selon le benchmark OSS, de nombreux offices fédéraux publient déjà un grand nombre de composants et d’applications OSS. Toutefois, cela se fait actuellement encore de manière totalement non coordonnée par les services fédéraux respectifs. Un soutien pratique est ici nécessaire, car les publications OSS soulèvent souvent des questions techniques, organisationnelles et juridiques. Ainsi, de nombreuses institutions, comme par exemple la Commission européenne, ont créé ce que l’on appelle un Open Source Program Office (OSPO), qui regroupe les multiples aspects liés aux OSS au sein d’une organisation. Un « OSPO fédéral » correspondant, doté des ressources et des compétences nécessaires, serait donc souhaitable. Cet office pourrait encourager l’échange d’expériences, développer les bonnes pratiques, permettre la mise en réseau et, en particulier, élaborer des recommandations et des critères juridiquement valables pour l’acquisition future de logiciels.

Un regard au-delà des frontières nationales montre qu’il n’est pas nécessaire de tout réinventer. Ainsi, l’Allemagne a créé Open CoDE, un portail national pour l’échange de logiciels libres destinés à l’administration publique. Le gouvernement fédéral, plusieurs Länder et de nombreuses communes ont déjà publié plus de 50 solutions logicielles sur la plate-forme et font ainsi avancer le développement d’un lieu de travail numériquement souverain et d’autres projets informatiques. Open CoDE fait partie des activités du gouvernement allemand en matière de souveraineté numérique. Un centre pour la souveraineté numérique a également été créé à Berlin. Il doit servir de pont entre l’administration publique et les communautés open source et est placé sous la responsabilité du délégué du gouvernement fédéral aux technologies de l’information.

En France également, CodeGouv, une initiative nationale lancée en 2021, propose de nombreuses applications OSS, des guides et des forums de discussion pour échanger des expériences et des solutions informatiques concrètes. Doté d’un budget de 30 millions d’euros, le programme open source français a notamment pour mission de rendre accessibles sur le portail en ligne les 9 000 référentiels OSS déjà existants de plus de 100 administrations.

Des biens publics numériques pour une meilleure durabilité numérique

En principe, les composants logiciels et les données librement utilisables entrent dans la catégorie des biens publics numériques, car ils ne s’usent pas (comme les biens physiques) et n’excluent personne (comme les biens privés). C’est l’idée de base de la durabilité numérique depuis de nombreuses années. Ce concept place la libération des connaissances numériques dans le contexte du développement durable. Les Nations unies qualifient cette forme de libération des connaissances de biens publics numériques et ont créé à cet effet l’Alliance des biens publics numériques en 2019. Celle-ci cite OSS, Open Data, Open AI Models (modèles d’intelligence artificielle sous licence ouverte), Open Standards et Open Content comme exemples concrets de Digital Public Goods.

En ce sens, l’EMBAG constitue une base juridique pour la création de davantage de biens publics numériques. Ainsi, l’EMBAG ne donne pas seulement une impulsion importante à la numérisation pour plus d’innovation et d’efficacité dans l’administration fédérale, mais contribue également au développement durable au niveau mondial grâce au mécanisme « open by default ». Ainsi, l’EMBAG favorise en fin de compte l’exploitation du potentiel de durabilité numérique – une tâche utile et importante du secteur informatique.


Cet article est paru en exclusivité dans le nouveau ti&m special « Innovation ». Vous pouvez télécharger gratuitement le numéro complet ici.

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AUTHOR: Matthias Stürmer

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