Espaces de données sûrs et dignes de confiance – un tour d’horizon objectif

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La 17ᵉ conférence sur l’informatique et le droit s’est tenue le 26 août à l’Hôtel de Ville de Berne. Elle était consacrée aux espaces de données sous l’angle réglementaire et économique. Constat principal : de nombreuses questions demeurent ouvertes, mais certains projets prometteurs existent déjà.

Que sont les espaces de données ? Le terme recouvre des réalités très diverses. Sur le plan technologique, il s’agit de plateformes numériques sécurisées permettant l’échange contrôlé et/ou l’utilisation partagée de données entre différentes organisations. Sur le plan juridique et organisationnel, ce sont des écosystèmes socio-techniques régulés, dans lesquels les participants mettent des données à disposition et les exploitent selon des conditions clairement définies. Du point de vue stratégique et économique, les espaces de données sont des instruments de création de valeur : entreprises et institutions peuvent partager, analyser et exploiter conjointement des données. Enfin, au niveau politique, ils s’inscrivent dans une infrastructure nationale, supranationale ou internationale et constituent un levier de souveraineté numérique.

Ces définitions multiples montrent bien que l’on peut concevoir une grande variété d’espaces de données, selon l’angle retenu. La notion même de souveraineté numérique s’associe tantôt à l’open data, tantôt à des plateformes de services purement commerciales. Les objectifs stratégiques divergent, de même que les modèles de gouvernance et les architectures techniques. Dès lors, plutôt que de chercher un concept universel – ce que la conférence a confirmé – il s’agit d’observer si, avec le temps, émergent des formes prototypiques d’espaces de données. Il serait utile de développer un langage de motifs, basé sur l’expérience, afin de faciliter l’échange de pratiques concrètes. L’informatique connaît bien cette approche, initiée par les design patterns du développement orienté objet, eux-mêmes inspirés de la célèbre « langue des motifs » de l’architecte Christopher Alexander.

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Ouverture et interventions

Michael Schöll, directeur de l’Office fédéral de la justice et président de l’association eJustice.ch, a ouvert la conférence en posant la question : la notion de confiance est-elle compatible avec celle d’espace de données ? Il a illustré, avec l’exemple de Catena-X, l’importance stratégique déjà acquise par ces dispositifs pour l’économie.

Felix Gille a présenté les travaux de la Chancellerie fédérale visant à promouvoir le développement d’espaces de données en Suisse. Deux dimensions sont centrales : la gouvernance et l’architecture technique, toutes deux marquées par une même interrogation : comment instaurer la confiance, tant dans la fiabilité des données que dans leur protection contre les abus ?

Georges-Simon Ulrich, directeur de l’Office fédéral de la statistique (OFS) et acteur clé du dossier au sein de l’administration, a insisté sur les conditions-cadres nécessaires : standardisation et interopérabilité. Contrairement aux idées reçues, protection et utilisation des données peuvent souvent être conciliées. Mais convaincre de la valeur des espaces de données reste un défi. Son appel était clair : créer dès maintenant des bases fiables pour l’intelligence artificielle, fondées sur des espaces de données dignes de confiance.

Martin Andenmatten a apporté la perspective du secteur privé, en présentant les approches de gouvernance du tout nouveau Gaia-X Hub Suisse. Il a souligné que le développement de solutions d’IA est une motivation centrale pour ses initiateurs et a exposé des concepts d’interopérabilité inspirés du European Interoperability Framework. Selon lui, les diverses approches ne se concurrencent pas mais se complètent.

Mario Meir-Huber a présenté plusieurs projets pilotes autrichiens, notamment dans le tourisme. Ses messages : il faut des règles claires de gouvernance, des spécifications précises des rôles et une démarche agile – un espace de données ne peut pas être planifié de manière rigide. Pour lui, l’essentiel est de commencer concrètement. Sa remarque marquante : la gouvernance n’est rien d’autre que la somme des règles qui s’appliquent à un espace de données.

Franziska Sprecher a introduit les fondements juridiques complexes des espaces de données, bien au-delà de la protection des données. Elle a rappelé que toute réglementation doit partir des valeurs et que les besoins de régulation résultent avant tout des asymétries entre acteurs. Pour elle, la souveraineté numérique est une condition de l’autodétermination numérique. Le degré de cette dernière dépend de l’équilibre entre utilisation, sécurité, protection et disponibilité des données. Selon la professeure Sprecher, il faut à la fois encadrer la réutilisation des données secondaires, adopter une loi-cadre sur les espaces de données et prévoir des régulations sectorielles.

Irene Bernhard a présenté MODI, l’infrastructure nationale de données de mobilité, conçue pour un échange sécurisé et fiable des données dans l’espace de données mobilité. Les données de mobilité constituent, selon elle, une infrastructure critique du pays et permettent d’optimiser l’utilisation des offres de transport. MODI repose sur deux piliers : l’infrastructure nationale de géodonnées exploitée par swisstopo et l’infrastructure NADIM de mise en réseau, qui assure l’échange standardisé des données de mobilité entre acteurs de l’écosystème.

Noémie Zink a exposé agridata.ch, l’espace de données dédié au secteur agricole et alimentaire suisse. À travers divers cas d’usage, elle a montré les avantages concrets : mise en œuvre du principe « once only », réduction de la charge administrative pour les agriculteurs et garantie de leur autodétermination numérique quant à l’usage de leurs données. L’inclusion de l’ensemble des acteurs, jusqu’aux consommateurs finaux, est décisive. Là encore, la confiance repose sur des règles claires de gouvernance.

En conclusion, Christoph Bloch et moi avons eu l’honneur de résumer la conférence. Notre constat : toute personne qui s’engage en faveur des espaces de données devrait se poser, pour un projet concret, cinq questions : Premièrement, et c’est la plus importante, quel bénéfice l’espace de données apporte-t-il, et pour qui ? Deuxièmement, quels rôles existent et comment fonctionne l’espace de données ? Troisièmement, quelles sont les bases concrètes de la confiance dans l’espace de données ? Quatrièmement, quel est le rôle de l’État et quelle motivation le sous-tend ? Cinquièmement, quel est le degré d’autodétermination dans l’espace de données ?À cela s’ajoute la question générale : que peut et que doit faire le législateur ? Quelle loi-cadre permettrait d’exploiter pleinement le potentiel des espaces de données en Suisse, tout en renforçant l’autodétermination numérique ? Si la Suisse tarde, entreprises et citoyens se tourneront vers des offres étrangères, souvent étrangères aussi à nos valeurs. Mais les exemples pratiques présentés montrent que nous avons déjà pris le chemin de l’action.

Présentations de la Journée Informatique juridique 2025 :

Journée Informatique juridique – eJustice.ch

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AUTHOR: Reinhard Riedl

Le professeur Reinhard Riedl est chargé de cours à l'Institut Digital Technology Management de la HESB Économie. Il s'engage dans de nombreuses organisations et est membre du comité de pilotage de TA-Swiss. Il est en outre membre du comité directeur d'eJustice.ch, de Praevenire - Verein zur Optimierung der solidarischen Gesundheitsversorgung (Autriche) et d'All-acad.com, entre autres.

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