Calculer et laisser calculer – Comment les simulations enrichissent l’enseignement

Lady Ottiline

Le test d’hypothèse est un outil fondamental de la statistique, mais ses formules mathématiques complexes font échouer plus d’un·e étudiant·e. Pourtant, son enseignement pourrait être bien plus simple – et même conduire à des résultats plus précis. Grâce à l’ordinateur, bien sûr. 

 Certes, pour les esprits faustiens désireux de savoir « ce qui tient le monde au fond des choses », les tests d’hypothèse ont peu d’attrait. Mais pour toutes celles et ceux qui s’interrogent sur les frontières entre le pur hasard et la causalité, il est impossible d’y échapper – pas plus que pour les étudiant·es en statistique. Car le test d’hypothèse permet de vérifier des affirmations (y compris ces fameuses « vérités ressenties » si populaires de nos jours) à partir d’un échantillon.
Évidemment, seule l’étude de l’ensemble de la population offrirait une certitude absolue – mais ce serait un travail titanesque. Et puis, dans ce cas, plus besoin de statisticiens… et moi, je perdrais mon emploi. Mieux vaut donc se contenter d’un échantillon et exprimer l’incertitude restante en termes de probabilité. Nous partons d’une hypothèse nulle (H0), à laquelle nous opposons une hypothèse alternative (Ha) – histoire qu’elle ne se sente pas trop seule – et l’expérience peut commencer. 

Une expérience légèrement alcoolisée

Pour expliquer le test d’hypothèse, on évoque souvent un exemple un peu poussiéreux : celui de Lady Ottiline, qui affirmait pouvoir distinguer si le thé ou le lait avait été versé en premier dans sa tasse. Comme je préfère le café (sans lait), je propose ici une version revisitée, plus conforme à nos temps modernes – et à mon goût : Lady Ottiline soutient qu’elle peut reconnaître si, dans son verre de whisky single malt écossais, le whisky ou l’eau a été versé en premier. Un exemple qui mérite sans doute une brève explication : tout le monde ne sait pas qu’on ajoute souvent quelques gouttes d’eau à un single malt… mais autant profiter de l’occasion pour faire un peu de culture générale ! 

Nous offrons donc à la dame huit verres de whisky, chacun agrémenté de trois gouttes d’eau, et la laissons déguster. Notre hypothèse nulle (H0) stipule qu’elle ne peut pas distinguer l’ordre d’ajout ; sa probabilité de réussite n’excéderait alors pas 50 % (p ≤ 0,5). L’hypothèse alternative (Ha) affirme le contraire : si elle a raison, son taux de réussite devrait dépasser 50 % (p > 0,5).
Pour faire court : Lady Ottiline est peut-être un peu éméchée à la fin, mais elle devine correctement pour les huit verres. En ne faisant que deviner, elle n’aurait eu qu’une probabilité d’environ p ≈ 0,004 d’y parvenir (à vous de vérifier !). Nous rejetons donc H0 et acceptons Ha. Simple, clair, et les étudiant·es sont ravi·es : ils ont compris. 

Des probabilités jetées aux dés

Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. À cause du redoutable concept de fluctuations aléatoires, les choses se compliquent un peu. Imaginons que nous voulions aller au casino pour défier les lois du hasard et devenir riches au jeu de dés. À l’entrée, un individu douteux nous propose une « technique spéciale » pour augmenter la probabilité d’obtenir un six. Naturellement, nous exigeons une démonstration et formulons nos hypothèses. H0 : l’homme veut nous arnaquer, la probabilité d’un six reste au mieux de 1/6 (p ≤ 1/6). Ha : il dit vrai, la probabilité est donc supérieure à 1/6 (p > 1/6). Nous le laissons lancer les dés 56 fois et comptons les six obtenus : 13. Cela correspond à une fréquence relative de 0,232, supérieure à 1/6 = 0,1667. Impressionnant ! Mais s’agit-il peut-être d’une simple fluctuation due au hasard de H0 ? On peut le calculer – malheureusement, c’est un peu technique. Alors, reprenons une gorgée du whisky de Lady Ottiline et inspirons profondément avant de prononcer le mot maudit : loi binomiale (fig. 1). Car nous savons pertinemment qu’à ce stade de la démonstration, nous perdrons la moitié de nos étudiant·es, qu’ils aient ou non goûté au whisky de Lady Ottiline. 

Binominalverteilung

Figure 1 : La loi binomiale  

Comment rendre les étudiant·es heureux

Si vous aimez contempler des visages vides sous des fronts en surchauffe, présentez donc à vos étudiant·es la suite : la loi normale (fig. 2), qui autorise plus de deux valeurs possibles.
Pour les puristes des mathématiques, c’est un bel exercice ; pour tous les autres (et sauf rares exceptions, cela veut dire : pour tout le monde), c’est une façon sûre de leur faire détester la statistique. Et à juste titre : ni la loi binomiale ni la loi normale ne peuvent être calculées à la main. Il faut au minimum une bonne calculatrice, ou mieux encore, un ordinateur. 

Puisque ces machines trônent déjà sur chaque bureau, pourquoi ne pas les utiliser pour simuler le hasard ? Les logiciels statistiques modernes le permettent facilement : en quelques secondes, on peut répéter une expérience des milliers de fois – sans jamais invoquer un coefficient binomial ni aucune formule redoutable. Des étudiant·es heureux !  

Abbildung 2: Die Normalverteilung

Normalverteilung

Figure 2 : La loi normale 

Vive le progrès !

Grâce aux logiciels statistiques récents et à leurs modules pédagogiques, ces simulations se réalisent aisément à l’aide de commandes intuitives. Il suffit d’apprendre quelques snippets de code (pour parler un peu franglais) et, avec un bon accompagnement, on peut même utiliser l’intelligence artificielle générative pour rédiger les lignes de commande. Mon expérience avec cette approche dans les programmes du département d’économie est très positive. Lorsque des difficultés apparaissent, elles tiennent rarement à la compréhension des simulations elles-mêmes ; elles viennent plutôt de problèmes plus terre-à-terre : ouvrir un fichier Excel, ou le retrouver après l’avoir enregistré. Mais ce genre d’apprentissage ne peut qu’être bénéfique. Tout comme quelques gouttes d’eau dans un bon single malt. Mais attention : versez toujours d’abord le whisky, et ajoutez l’eau… goutte à goutte ! 

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AUTHOR: Michel Krebs

Michel Krebs est docteur en mathématiques et professeur au Département d'économie de la Haute école spécialisée bernoise (BFH). Il a étudié à l'Université de Berne et co-dirige le groupe de recherche en Applied Data Science. À la BFH, il enseigne les mathématiques, les statistiques, la science des données et l'apprentissage automatique. Il se concentre sur la transmission compréhensible de contenus quantitatifs complexes et sur l'application des méthodes mathématiques dans l'économie et la recherche.

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