Dépasser les barrières linguistiques par l’image

Il est difficile de communiquer avec le personnel de santé lorsque l’on ne comprend pas la langue. C’est particulièrement vrai dans les situations d’urgence et lorsque des enfants sont impliqués. C’est pourquoi un groupe interdisciplinaire de chercheurs* de la Haute école spécialisée bernoise Santé et de la Haute école des arts de Berne (HEAB) a mis au point des « images parlantes ». Un outil de communication à utiliser dans les situations d’urgence pédiatriques.

La Suisse est un pays multinational : en 2020, la proportion de la population suisse issue de l’immigration était de 38% (Office fédéral de la statistique [OFS], 2021). Dans ce contexte, la Suisse présente, en plus de sa diversité culturelle, une grande diversité linguistique. De nombreuses personnes issues de l’immigration ne parlent aucune des quatre langues nationales ni l’anglais (Hôpitaux suisses pour l’égalité, 2016). En ce qui concerne le système de santé, cela signifie, d’une part, qu’elles ont souvent besoin d’aide pour s’y retrouver. D’autre part, ils ont souvent des difficultés à communiquer leurs préoccupations en matière de santé et de médecine de manière claire et compréhensible.

On sait que la qualité du traitement des patients* issus de l’immigration est plus souvent inférieure à celle des patients non issus de l’immigration. En raison de la barrière linguistique, ils sont soumis à davantage de mesures diagnostiques au cours de leur traitement et sont plus souvent mal diagnostiqués et mal soignés. Ces patients* sont moins assidus à leur thérapie ou plus insatisfaits de leur traitement (Bodemann, et al., 2009 ; Binder-Fritz, 2011). L’état de santé des personnes issues de l’immigration est en moyenne moins bon que celui de la population suisse (Langer et Wirth, 2014). En outre, les barrières linguistiques font que les traitements et les soins ne sont souvent pas équivalents à ceux fournis sans barrières linguistiques (Langer et Wirth, 2014). Par conséquent, la communication entre les patients* issus de l’immigration et les professionnels de la santé est exigeante et toujours marquée par la frustration de ne pas comprendre et de ne pas pouvoir s’exprimer (Haderer, 2011). Cependant, une communication compréhensible est essentielle pour garantir des soins de santé sûrs, de qualité et équivalents pour tous les patients.

La communication par l’image est une solution possible. Les outils non verbaux basés sur l’image peuvent soutenir et encourager positivement la communication entre les patients non anglophones et le personnel soignant. C’est pourquoi des chercheurs de trois départements de la HESB ont lancé un projet interdisciplinaire pour aborder cette question aux urgences, où le temps disponible et la précision des informations sont très importants pour la suite du traitement. Jusqu’à présent, les services d’urgences pédiatriques suisses ne disposent pas d’outils de communication numérique systématiquement développés et standardisés (Kaufmann et al., 2020).

Le projet « Talking Pictures » a développé un prototype d’aide à la communication numérique pour les enfants non germanophones, leurs parents et le personnel soignant. Des chercheurs dans les domaines de la santé, de la conception de la communication et de l’informatique médicale l’ont développé dans le cadre d’un processus participatif et itératif impliquant des parents et des enfants issus de l’immigration, ainsi que des soignants ayant une expérience en pédiatrie.

Exemple d’application

Comment fonctionne cet outil de communication numérique ?

Imaginez : vous êtes arrivé en Suisse il y a quatre mois, seul avec votre fille de trois ans originaire de Roumanie. Vous ne comprenez ni ne parlez aucune langue nationale suisse ni l’anglais. Ce matin, votre fille est tombée d’une structure d’escalade et souffre de vertiges, de maux de tête et de nausées. De plus, votre fille ne veut plus manger. Vous n’auriez aucun problème à communiquer dans un service d’urgences pédiatriques dans votre pays. Or, en Suisse, cette capacité de communication évidente n’existe plus. Vous expliquez l’événement du mieux que vous pouvez, avec des gestes et des mimiques. Mais le personnel des urgences et le personnel médical ne les comprennent guère. Vous vous sentez insécurisée et impuissante, car vous n’arrivez pas à vous faire comprendre, ce qui renforce l’angoisse que vous ressentez déjà pour votre fille.

Les résultats du projet ont montré que le prototype d’aide à la communication développé, une application (app), peut être utilisé à bon escient dans de telles situations. Avec une tablette, l’exemple ci-dessus peut être exprimé de la manière suivante en utilisant les images développées :

Afin de pouvoir décrire les symptômes de manière encore plus précise, les images de l’application ont été reliées à d’autres images qui, en fonction de la situation, couvrent d’éventuelles questions complémentaires, telles que

Le contenu de l’application est donc basé sur le schéma SAMPLE (Symptômes, Allergies, Médicaments, Antécédents médicaux, Dernière prise orale, Événements antérieurs à l’incident), utilisé par les infirmières pour le triage d’urgence.

Facilité d’utilisation

Au total, 105 images réparties en 10 catégories ont été conçues dans le cadre du projet et intégrées dans une plateforme numérique qui facilite la sélection des images. Les tests d’utilisation ont montré que les images étaient en principe bien comprises par tous les parents, les enfants et les infirmières pédiatriques participant au projet. Selon les participants, les images sont attrayantes et significatives malgré leur visualisation simple. Ils ont également apprécié le fait que les parents et les infirmières aient les mêmes images sous les yeux sur la tablette, ce qui favorise une compréhension commune et respectueuse. Le contact visuel, les gestes et les expressions faciales étaient également présents dans l’échange basé sur les images. Il apparaît également que, malgré l’interaction via l’image, les infirmières et les parents « verbalisaient », c’est-à-dire utilisaient le langage. L’infirmière s’exprimait dans sa langue maternelle, l’allemand, et les parents dans la leur, l’espagnol, le portugais, l’arabe ou l’italien. Les parents participants parlaient et comprenaient bien ou peu l’allemand.

Potentiel de développement

Bien que les infirmières et les parents aient eu l’impression que leurs préoccupations et leurs questions avaient été comprises lors des tests utilisateurs, d’autres tests sont nécessaires, en particulier avec un plus grand nombre de participants et de personnes qui ne comprennent pas et ne parlent pas l’allemand. Cela devrait permettre de mieux comprendre l’adéquation culturelle des images et de vérifier l’applicabilité des images difficiles à comprendre telles que les « maladies passées » ou les informations contextuelles telles que l’heure, la fréquence, la durée ou le moment de la journée. En outre, le prototype doit être testé dans un contexte réel d’urgence pédiatrique afin de vérifier sa facilité d’utilisation dans la pratique clinique quotidienne et sa capacité à intégrer les processus.

Conclusion et perspectives

Le projet participatif a clairement démontré que les images conçues ont le potentiel de favoriser la compréhension mutuelle dans le contexte des urgences pédiatriques. Le projet a également permis d’entrevoir la possibilité de rendre l’interaction entre les soignants et les parents plus facile et plus compréhensible grâce à l’utilisation d’un support de communication basé sur l’image. La prochaine étape consistera à réaliser un essai pilote dans le cadre d’une urgence pédiatrique réelle, afin de vérifier la pertinence de l’application dans la vie quotidienne à l’hôpital.

Le principe du prototype est évolutif. Nous partons du principe que la communication par l’image peut également être utile dans d’autres domaines de soins, lorsqu’il s’agit de communiquer des problèmes de santé de manière compréhensible, par exemple dans le cadre de soins pédiatriques hospitaliers ou d’urgences pour adultes. Il est également concevable que la profession médicale puisse l’utiliser dans le contexte de l’anamnèse ou d’autres groupes professionnels. Le projet répond à un besoin, celui de surmonter les barrières linguistiques, qui est peut-être plus actuel que jamais.


La littérature

  1. OFS, 2020. Population selon le statut migratoire | Office fédéral de la statistique (admin.ch)
  2. Binder-Fritz, Christine (2011) : Migration et santé au miroir de la médecine générale. In : Interkulturell kompetent Un manuel pour les médecins. Ed. par M. Peintinger, Facultas, Vienne : 119-204
  3. Bodenmann, P. et al. (2009). « Screening for latent tuberculosis infection among undocumented immigrants in Swiss healthcare centres ; a descriptive exploratory study » Bmc Infectious Diseases, 9.
  4. Haderer, P., 2011. Langue et qualité médicale : une analyse des effets des barrières linguistiques sur la qualité des soins de santé des migrants dans le système hospitalier viennois. Université du Danube Krems, Krems
  5. Kaufmann, B., Helfer, T., Pedemonte, D., Simon, M. et Colvin, S. (2020). Communication challenges between nurses and migrant pediatric patients. Journal of Research in Nursing, 25(3):256-74.
  6. Langer T, Wirth S. Overcoming language barriers with telephone interpreters : first experiences at a German children’s hospital. Z Evid Fortbild Qual Gesundhwes. 2014;108(5-6):278-82. Français. doi : 10.1016/j.zefq.2013.11.005. Epub 2013 Dec 11. PMID : 25066346

À propos du projet Talking Pictures

Le projet vise à développer un outil de communication numérique basé sur l’image qui favorise la communication non textuelle entre les patients* parlant une autre langue et le personnel de santé dans le contexte de la prise d’antécédents en cas d’urgence. Pour plus d’informations, cliquez ici.

Creative Commons Licence

AUTHOR: Friederike J. S. Thilo

Friederike Thilo est responsable du champ d'innovation "Santé numérique", aF&E Soins, HESB Santé. Ses principaux axes de recherche sont : Design collaboration homme-machine ; acceptation de la technologie ; développement need-driven, test et évaluation des technologies dans le contexte santé/maladie ; soins basés sur les données (intelligence artificielle).

AUTHOR: Anouk Haldemann

Anouk Haldemann est infirmière diplômée et a été assistante scientifique au département Santé de la HESB.

AUTHOR: Kerstin Denecke

Kerstin Denecke est professeur d'informatique médicale au Département Technique & Informatique. Elle effectue des recherches et enseigne à l'Institut d'informatique médicale sur le text mining dans le contexte clinique et les applications mobiles de santé, y compris les interfaces utilisateur orientées dialogue.

AUTHOR: Francois von Kaenel

François von Kaenel est collaborateur scientifique à la section Informatique médicale du département Technique & Informatique de la HESB. Ses thèmes de recherche sont Fast Healthcare Interoperability Resources,
Interopérabilité sémantique et Patient Reported Outcome (PRO).

AUTHOR: Loraine Olalia

Loraine Olalia est collaboratrice au sein du groupe de travail interdisciplinaire Health Care Communication Design HCCD et collaboratrice de projet à l'Institute of Design Research de la Haute école des arts de la HESB.

AUTHOR: Beatrice Kaufmann

Beatrice Kaufmann est collaboratrice artistique et scientifique à l'Institute of Design Research de la Haute école des arts de la HESB. Elle dirige le projet "Images parlantes" et collabore au groupe de travail interdisciplinaire Health Care Communication Design HCCD.

Create PDF

Posts associés

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *